Rencontre avec Jean-Paul Delfino le vendredi 6 avril

Publié le par C.D.I. du lycée Voltaire

RENCONTRE le lendemain, vendredi 6 avril 2007,

 entre

JEAN-PAUL DELFINO
et
les élèves de 2nde 6, 1ères ES3 et S6


Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ?

En fait, c'est l'amour. Je pense que si on arrive à changer les idées de quelques personnes avec un livre, ou à les faire voyager, c'est ce qu'il y a de plus beau.
J'ai à ce sujet une anecdote assez terrible.
J'ai écrit mon 1er livre à 21 ans, sur la musique brésilienne. J'ai reçu beaucoup de courriers de lecteurs et surtout de lectrices anonymes parce que, sur 100 lecteurs, 80 sont des femmes donc c'est normal que je reçoive plus de lettres de femmes. Et un jour, j'ai reçu une lettre que j'ai lu distraitement :
«Monsieur,
Vous m'avez fait voyagez....
blabla blabla...»
Et j'allais la reposer quand je remarque un nota bene « Je m'appelle Patrick. J'ai 25 ans et je viens de prendre 20 ans à Fleury Mérogis. » Et quand vous arrivez à faire voyager quelqu'un qui est en taule pour 20 ans, si ça c'est pas gagné, si ça c'est pas de la littérature, je ne sais pas ce que c'est. Il y a plein de raisons pour lesquelles on écrit. On écrit aussi pour se révolter
,
pour exister dans la société dans laquelle on est. Si j'étais heureux, je ne sais pas pourquoi j'écrirai, parce que c'est aussi un acte de révolte que d'écrire. C'est ma façon de vivre et mon équilibre fragile passe par l'écriture. Si je n'écris pas, je deviens à peu près fou !

Quelle est la principale difficulté quand vous écrivez ?

Je n'ai jamais eu de problème de page blanche. En revanche, des difficultés, j'en ai eu avec Corcovado car si on respecte le lecteur, il faut écrire des choses qui sont à peu près vraies. Ca allait très bien quand il était à Marseille dans les années 20, mais arrivé au Brésil, je voulais être exact, donc je suis tombé sur un collecteur sur Internet de toutes les horaires de départ et d'arrivée de tous les cargos depuis 1890. Je ne vois pas à quoi çela peut servir, en tout cas, à moi, cela m'a été bien utile. Mon héros arrive à Rio et prend un taxi : Y avait-il des taxis à Rio en 1920 ? Si oui, de quelle couleur? Quel était le costume du chauffeur ? Quelle était la monnaie courante? Donc, j'avais écrit les 30 premières pages. Je croyais commencer et j'ai mis 2 ans sans écrire pour faire des recherches, pour ne pas raconter de bêtises. Et quand le livre a été traduit au Brésil, il a été lu par le comité de spécialistes universitaires du vieux Rio, qui n'a trouvé que deux petites fautes, qui ont été corrigées. Je ne suis pas l'écrivain dans sa tour d'ivoire qui fume et qui boit du champagne.

Vous écrivez à la main ou à l'ordinateur ?


Quand j'étais journaliste, je pissais de la copie, comme on dit dans le métier, c'est-à-dire que je tapais directement à l'ordinateur des informations prémâchées que m'envoyait l'agence France Presse. Cela n'avait aucun intérêt mais me permettait de manger. Et quand je me suis mis à écrire des romans, j'ai une technique bien à moi : le matin, j'écris à la main. Ensuite, je ne fais rien au moins jusqu'à 4h. Et encore, le matin c'est juste 10-12h. Après, l'après midi, je tape à l'ordinateur ce que j'ai écrit le matin. Puis, plus rien. J'ai mes autres activités. Et le lendemain matin, je me lève, je relis ce que j'ai tapé à l'ordinateur et imprimé, je corrige et je continue à la main. Cela me premet à la fois de corriger un premier jet que j'ai écrit la veille et en même temps de me remettre complètement dans l'ambiance.

Comment vous vous organisez pour écrire? Par le début, par la fin ?

Non, je sais exactement quelle est la première scène parce que c'est là que je donne 30 pages de possibilités, c'est-à-dire que si au bout de 30 pages je m'ennuie davantage qu'à la première, je laisse le livre, c'est qu'il n'est pas pour moi. Mais je laisse toujours une chance à un livre. Quand je dis trente pages pas vraiment, il y a 50 000 livres qui sortent chaque année, vous imaginez. Donc j'essaie d'attrapper le lecteur dès le début, je sais ce qui va se passer à la fin, parce qu'il faut que la fin soit digne de ce nom. Et, entre les 2, je suis un escroc parce que ce n'est pas moi qui écrit, ce sont les personnages qui me racontent leur histoire. Et c'est vraiment l'impression que j'ai quand vous mettez en scène quelqu'un comme Joan Domar, qui tue mais pour la bonne cause et devient coupable à partir du moment où il décide de s'enrichir sans avoir de tabou, mais jusqu'au moment où il tue accidentellement ce fils de mafieux et où il va au Brésil, c'est plutôt une victime, parce qu'il  peut tout à coup trop rêver. Car avant il était aconier sur le port de Marseille, c'est-à-dire un col bleu, il avait sa petite vie bien réglée, n'ayant pas de femme, il allait voir les prostituées de temps en temps, il mangeait à sa faim, donc c'était le bonheur au début des années 20. Et d'un coup, il est obligé de fuir. Il arrive au Brésil. Il sait lire, écrire, compter. Il parle italien, portuguais et français. Il rencontre un oncle providentiel, lequel va l'inciter à rêver plus haut que ce dont Joan avait l'habitude, c'est-à-dire vivre dans la misère des ports. Et là, il lui dit "Tu vas être docteur." Et ça va lui échauffer l'esprit, et quand le projet du Christ vacille, il se dit que tous les moyens sont bons pour réaliser les rêves qu'on l'a incité à avoir. Et j'ai eu beaucoup de mal (350 pages étaient écrites) à faire remonter la pente à ce salaud. Finallement, il n'y a que par l'intermédiaire de la magie qu'il remonte la pente. On a tous le droit de commettre des erreurs. Au final, je le trouve attachant ce gars.

Comment faites-vous pour intégrer dans votre texte des procédés littéraires ?

Moi, je n'insère rien. J'ai lu énormement d'auteurs et j'ai aimé quelques-uns de ces auteurs, de moins en moins dans la littérature contemporraine française, mais davantage de Rabelais jusqu'aux années 1950. Et après, je crois que c'est un travail inconscient. Certains se disent "Là, ja vais faire une mise en abime, et...." Moi, non, j'essaie de raconter une histoire. Un intellectuel, c'est simple, il comprend le monde avec sa tête et ensuite il le ressent par les tripes. Moi, je suis l'inverse, c'est-à-dire que je reçois le monde par les tripes et après je peux éventuellement l'intellectualiser ou le conceptualiser par la tête. Pour moi, c'est une différence fondamentale. Donc, en fait, toutes ces gifles d'émotions que j'ai reçues en lisant Boris Vian, Blaise Cendrars, Prévert, et puis les étrangers Italo Calvino, Marquez, Georges Amade... je les ai lus comme on boit des potions
un peu fortes, un peu enîvrantes, et ça reste à un moment donné en soi, et je ne fais pas de copie. Je connais des auteurs qui lisent des romans de fin 19ème et début 20ème, qui soulignent des passages et les recopient dans leurs propres livres. Pour moi, c'est l'antithèse de la littérature. La littérature, c'est donner des visions du monde qu'on a propres en utilisant notre propre style.  Et pour moi, la considération sera atteinte quand un jour on fera une lecture aveugle de quelques lignes que j'ai écrites sans savoir que c'est moi qui les ai écrites, et que les gens puissent dire : "Ah ça, c'est du Delfino! C'est la musique de Delfino." C'est-à-dire que l'histoire en elle même, je pense qu'on peut en prendre une vingtaine, c'est toujours la même, cela se passe seulement dans des lieux et des époques différents. Entre Roméo et Juliette et le Titanic il n'y a pas de différence. Il y a toujours un homme et une femme qui s'aiment mais que la société sépare. C'est toujours pareil, ce qui est intéressant, c'est de savoir comment c'est raconté, sur quels détails on s'arrête.

Est-ce que vous vivez de votre plume ?

Eh oui ! Si il y a 8 ans on m'avait dit que j'aurai publié une douzaine de romans, que je serai traduit en Espagne, en Italie, au Brésil, en Corée du Sud...

D'où vous vient votre passion pour le Brésil ?

C'est un mot très compliqué qui fait peur mais cela ne fait pas mal, c'est métempsychose. La métempsychose, c'est une théorie qui dit qu'on a plusieurs vies et ue lorsqu'on meurt, on se réincarne. Et quand je me suis retrouvé au Brésil pour la première fois, j'ai eu l'impression de rentrer chez moi, alors que je n'y avais jamais mis les pieds. Et au bout d'une semaine je parlais le brésilien couramment alors que je n'en parlais pas un mot trois jours avant, et trois jours encore plus tard, je parlais l'argot des bidonvilles. C'est un sentiment curieux, étrange. Et d'ailleurs une libraire que je connaissais très bien, quand j'étais jeune, férue d'ésotérisme, avait fait une recherche sur mes vies précédentes et m'avait annoncé que j'avais été sorcier dans une tribu d'Amazonie. Cela m'avait fait mourir de rire. Mais quand je suis allé au Brésil pour la première fois, et que j'ai eu ce sentiment, je me suis dit qu'on ne peut pas tout expliquer. Moi, j'aime tout ce qui fait rêver. Même si ce n'est pas vrai. La réalité et la vérité sont des valeurs extrêmement relatives.

Publié dans Amérique latine

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