Rencontre avec un écrivain le jeudi 5 avril suite

Publié le par C.D.I. du lycée Voltaire

Rencontre
avec Jean-Paul Delfino,
 jeudi 5 avril, seconde partie


- A quel âge avez-vous commencé à écrire puis à être publié ?

"J'ai fait comme beaucoup de jeunes de très mauvais poèmes, des recueils de nouvelles. Et ensuite, j'ai eu peur de ma lancer dans l'écriture de romans tout de suite parce que je pense qu'il faut attendre que la vie vous ait touché un peu, d'avoir souffert : la souffrance du premier amour, de devoir aller travailler tous les matins  pour gagner sa vie...
Et donc, j'ai écris mon premier livre, sur la bossa nova, et quand j'ai vu que je pouvais aligner plus de 20  pages et intéresser un éditeur, je me suis dit "mais c'est génial". J'ai donc commencé à écrire des brides de romans et en 96 je me suis lancé pour écrire mon premier roman que j'ai envoyé à toutes les maisons d'éditeurs que la France peut compter.
Mais si vous voulez publier, n'envoyez jamais rien à une maison d'éditeur pour une simple raison, c'est que 9 fois sur 10 ils ne lisent pas. Si vous voulez être publié, allez dans les salons du livre, rencontrez des romanciers et demandez un contact à l'intérieur de la maison d'éditeur. Comme cela, à défaut d'être publié, vous aurez au moins la certitude d'être lu. Pour mon premier roman, j'ai reçu une centaine de lettres, qui à chaque fois me faisaient pleurer et qui ressemblaient toutes à ceci : "Cher monsieur, nous avons bien reçu votre manuscrit mais nous avons le regret de vous faire savoir qu'il n'entre pas dans le cadre de nos collections. Nous espérons que vous nous ferez à nouveau confiance et que vous nous adresserez votre prochain manuscrit. Très respectueusement", un coup de tampon, et terminé. Et puis, j'ai eu un coup de bol phénoménal : quand j'ai écrit Brasil bosa nova, je l'envoie aux éditions Métailié ou plutôt je monte à Paris et je vais voir les éditions Métailié spécialisées en Amérique latine. J'avais les interviews exclusives de Gilberto Gil et des autres... donc pour moi c'était un manuscrit béton armé. Je fais donc à l'époque 10h de train entre Marseille et Paris. Anne Marie Métailié me reçoit sur son palier en 5 minutes " Mais pour qui vous prenez-vous?  Vous avez 20 ans, vous n'avez jamais publié, vous n'avez encore jamais écrit dans les journaux." Le livre sort. Il m'arrive une chose formidable car à l'époque c'était le cadre d'échanges culturels entre la France et le Brésil et il y avait une espèce de compétition pour savoir qui allait avoir le grand prix France-Brésil, et c'est moi qui l'obtiens. Je remonte à Paris, il y avait une vingtaine de journalistes. Tout était fait en grandes pompes et l'ambassadeur me prévient qu'il y avait une énorme surprise. Je grimpe sur l'estrade, et quel est l'invité surprise venu me remettre le grand prix ? Pelé, l'inventeur du foot, autant dire un génie sur pattes. Moi, qui avais été footballeur, je me suis mis à pleurer devant les journalistes.
Quelques mois se passent. Je dédicace mon bouquin à Aix-en-Provence. Je vois arriver une rousse folle furieuse, âgée de 45 ans peut-être, qui se jette sur moi "C'est vous Jean-Paul Delfino ? Je vous veux, je vous veux, je vous veux." C'était Anne-Marie Métailié qui m'avait reçu sur le pas de la porte. "Est-ce que vous accepteriez de m'écrire un livre sur toute la musique du Brésil ?" J'ai accepté. Je ne demande pas de contrat. Je planche dessus pendant 5 ans et demi. Pour ça, je fais plusieurs allers et retours là-bas, des interviews, des recherches... Le manuscrit enfin est terminé. Je l'envoie à Métailié qui me passe un coup de fil: "c'est génial ! On prend." Brasil Bosa Nova était chez un petit éditeur. Mais Métaillié, ce n'est pas la plus grande, la plus connue mais celle qui, à mon sens, est l'une des meilleures avec, dans le domaine du polar, Rivages.

J'envoie donc le manuscrit. Une semaine, quinze jours se passent, rien, trois semaines, rien. Je prends le téléphone et j'apprends qu'elle est partie au Mexique. Je commence vraiment à m'inquiéter. Le lendemain, je reçois une carte postale de Cancun où Anne-Marie Métailié me dit que le livre ne sera jamais prêt pour le salon du livre de Paris, et donc qu'elle ne prend pas le manuscrit. J'étais furieux. Finalement un éditeur national de moindre envergure prend le manuscrit. Coup de chance encore, il sort en juillet 98, en pleine finale de la coupe de monde France-Brésil.

J'ai envoyé ensuite mon premier roman, L'île aux femmes, à de nombreux éditeurs, dont Anne-Marie Métailié. Je lui joins une lettre un peu caustique tout de même. "Chère Mme Métailié,
Vous m'avez fait l'honneur de refuser le premier : il a reçu un prix littéraire. Vous m'avez fait la gentillesse de me refuser le second : il s'est vendu à un millier d'exemplaires. Faites-moi la grâce de refuser le troisième. Cela veut dire que j'ai un peu de talent et que je vais vendre beaucoup de livres."
Elle a pris cela avec beaucoup d'humour. Une semaine après, j'avais une lettre avec un billet d'avion, un contrat pré-signé et elle a eu beaucoup de courage car elle m'a tenu à bout de bras pendant 5 ans où on a gravi les échelons petit à petit. Quand vous êtes le fils de personne, quand vous n'habitez pas Paris, quand vous avez moins de 50 ans ou que vous n'êtes pas professeur de faculté, vous avez moins de chance qu'un autre.

Moi, cela a fonctionné, et avec Corcovado cela a été l'explosion, pour le tome 2 aussi. J'en tire d'ailleurs une fierté, celle d'être interdit de séjour sur le sol américain. Le troisième sortira le 10 mai en librairie, Samba triste. De nombreux journalistes l'ont lu sous forme d'épreuves imprimées. J'ai eu beaucoup de difficulté pour l'écrire. Il m'a fait mal. J'étais perdu avec Corcovado dans le Brésil des années 20, je vivais dans ma bulle et descendais pour manger pendant deux ans et demi. Ensuite, le tome 2, je l'ai vécu en révolté, avec tout ce que je découvrais sur les USA. Et le tome 3, enfin, m'a fait très mal, parce que j'avais l'impression, alors que ça se passait au Brésil dans les 70's, de décrire la France d'aujourd'hui.. Je m'explique. Le Brésil a eu une dictature militaire, qui a engendré des tas de problèmes. Nous, on a une dictature ultra-libérale du point de vue économique. Ce ne sont plus les politiciens qui font la cité, ce sont les grands patrons d'industrie. Et je me suis rendu compte que le résultat était le même, c'est-à-dire que les deux dictatures donnaient le même fruit pourri : apparition de travailleurs pauvres, augmentation de bidonvilles, de banlieues, augmentation de l'analphabétisme, problèmes culturels, problèmes nutritionnels avec la malbouffe et la difficulté de se nourrir correctement (Liddle, ce n'est pas Fauchon). J'ai bien peur qu'à ce train-là, on n'aille droit dans le mur. J'ai donc eu du mal pour ce troisième tome. J'ai d'ailleurs fait une sorte de dépression littéraire. Imaginez-vous : vous êtes amoureux de ces personnages que vous avez créés. J'ai d'ailleurs fait une dépression littéraire. C'est la première fois que cela m'arrivait. Vous vivez avec eux 24h/24 pendant cinq ans et demi. Et au bout de ces 5 ans 1/2, quand vous devez marquer le mot "fin", cela fait un choc. Ceci dit, j'étais hier au téléphone avec le producteur et le réalisateur pour l'adaptation des trois tomes. Le premier, c'est sûr, se fera soit à la télévision en 3 fois 90 minutes ou au cinéma. Mais cela prendra entre 3 et 5 ans avant de le voir se concrétiser, avant qu'il ne  sorte à l'écran, surtout s'agissant d'un film historique."

- Quel est le livre qui a eu le plus de succès?

"En roman, incontestablement, c'est Corcovado. Actuellement, dans l'édition on arrive à des aberrations comme tirer un roman à 800 exemplaires. Un éditeur, quand il vend 1200 exemplaires, il est déjà très content. A partir de 8000 exemplaires, on estime que c'est le succès. Mais, ce qui m'intéresse ce n'est pas tant combien j'en ai vendus, mais ce que je vais écrire après cela."

- Pourquoi êtes vous interdit de séjour aux Etats Unis ?

"Je vous conseille d'emprunter Dans l'ombre du Condor au CDI et de lire aussi le troisième parce que je livre des affaires, documents et témoignages à l'appui sur la CIA et les multinationales. Je ne fais pas cela pour faire de la provocation mais parce que j'ai les sources qui me permettent de dénoncer ces gens qui ont fait basculer les démocraties de l'Amérique Latine dans la dictature,
simplement pour pouvoir piller leurs richesses. En commençant par désinformer les gens, par leur faire peur. Soyez vigilants. Comparez, recoupez les informations données par les médias. Vérifiez."

-Relisez-vous vos livres ?

"Non, jamais, même en public dans les salons, j'aurais trop peur de découvrir une faute de frappe, comme une verrue sur la femme qu'on aime."

- Lequel préférez-vous ?

"Je serai incapable de choisir entre tous mes neveux et nièces (je n'ai pas d'enfants), ne me demandez donc pas de choisir entre mes différents romans. En revanche, j'ai été nègre aussi. J'ai écrit pour des gens peu intéressant. Mes deux gros succès de librairie, ça a été les biographies de Rocco Siffredi et de Clara Morgane. J'ai accepté car à l'époque je ne vivais pas de mes droits d'auteurs. En 3 ans, 75 000 exemplaires se sont vendus du Kama-Sutra, alors que pour les 5 ans et demi de travail consacrés à la trilogie, on n'a pas dépassé 50 000 exemplaires. Donc c'était purement alimentaire, comme le faisait Balzac, payé à la ligne dans les journaux."

Publié dans Amérique latine

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