Rencontre avec un écrivain le jeudi 5 avril

Publié le par C.D.I. du lycée Voltaire

Jean-Paul Delfino


Jean-Paul Delfino raconte  :
"
Je suis originaire d'une banlieue ouvrière de Marseille. A onze ans, j'avais trois rêves : être footballeur professionnel, professeur de lettres, et romancier. J'ai eu la chance de réaliser ces trois rêves, c'est-à-dire le premier, footballeur professionnel, en jouant en mini, cadet, junior de l'équipe de France. A l'époque, on ne parlait pas d'argent, mais j'ai dû arrêter quand on m'a cassé les deux genoux. Actuellement, à 42 ans, je serais devenu un vieux footballeur, et je suis devenu un jeune romancier, je n'ai donc pas perdu au change.Ensuite, j'ai suivi une école de journalisme à Bordeaux. Pour être clair, je ne crois pas que l'on puisse apprendre à écrire à quelqu'un. Il y a quelques techniques, mais une fois qu'on a ces techniques, c'est une question de motivation, si on a envie d'écrire et pourquoi on a envie d'écrire. Et j'ai exercé ce troisième métier qui était professeur de lettres pendant... une année, et pas davantage parce que je n'ai pas pu, parce que quand je fais les choses, je les fais complètement. Le premier cours, je m'en souviendrai toute ma vie, il y avait 37 élèves et, à la fin du cours, il n'en restait plus que cinq en classe, donc j'en avais viré 32. Et je me suis dit, j'étais très jeune, j'avais 21 ans, et le lendemain, quand je suis revenu, ils étaient 37 et j'ai fini à 37 parce qu'ils avaient compris que c'était une question de respect. Mais il faut être persévérant, patient et avoir la foi pour être prof. Moi, je ne peux pas. Je me suis donc ensuite tourné vers le journalisme, car c'est ce que je savais faire de moins mal. Vous me donnez un marteau et un clou, je suis incapable de m'en servir ; en revanche, écrire, j'ai toujours écrit."

- Comment tout cela a commencé ?

- "J'écrivais des poèmes. Je ne savais pas trop à quoi cela servait d'écrire, mais c'était là, il fallait que cela sorte. Et un jour, j'ai un ami qui vient me voir et qui me dit :"Tu sais, je suis amoureux d'une fille. Elle est belle. Toi, tu joues de la guitare, tu écris des chansons. Est-ce que tu peux lui écrire quelque chose ? Moi, je le recopie. Et puis voilà." Je n'étais pas tout à fait persuadé que cela allait fonctionner comme cela mais arrivé à la maison, je prends ma plus belle plume et je commence à écrire une lettre d'amour pas très réussie, mais bon. Je la donne à mon copain qui la recopie, la donne à sa copine, et le lendemain, je les vois arriver à l'école main dans la main. Alors les choses se savent. Un deuxième copain vient me voir pour la même chose, et blam, main dans la main le lendemain, et je me suis pris pour une espèce de dieu sur terre. Un troisième ami vient me voir, sans vraiment décrire précisément la fille en question. Je rentre et je lui écris sa lettre, et le lendemain, je vois ce garçon qui arrive avec une jeune fille dont moi j'étais amoureux ! Il y a un peu de Cyrano de Bergerac là-dedans, mais je vous jure que cela s'est passé comme cela, sauf qu'après j'ai récupéré la fille."

- Pourquoi écrivez-vous ?

"Je réponds, comme Souchon qui a répondu à "pourquoi chantez-vous ?" : pour plaire aux femmes. Je crois que j'écris pour plaire aux femmes, c'est-à-dire à ma mère, à ma soeur, à ma femme, à mes copines,...
Parce que, pour moi, la littérature, c'est ça, c'est donner de l'émotion.
Avec un papier et un crayon, je pouvais provoquer de l'émotion amoureuse, mais on peut aussi provoquer de la révolte, on peut provoquer les larmes,...
Et le plus beau compliment que l'on m'ait fait, c'était pour la sortie de L'Île aux femmes, il s'agissait de mon premier roman. Je tremblais comme une feuille, je l'ai écrit, je l'ai envoyé. Puis il sort. Donc je le reçois à la maison. Je pleure toutes les larmes de mon corps. C'est comme un bébé pour moi, c'est magique. Et donc, au bout de 15 jours, il y a une amie libraire qui me passe un coup de fil : "J'ai un client, un grand lecteur, il lit au moins 7 ou 8 livres par semaine. Il ne savait pas quoi prendre. Je lui ai conseillé L'Île aux femmes." Alors je savais que ma mère en avait acheté 350, mais c'était mon premier lecteur inconnu. Et elle continue : "Mais ça, c'était il y a quinze jours. Il vient de sortir de la librairie. Il m'a dit que jamais il n'arriverait à le lire jusqu'au bout." J'ai pris peur, c'était donc si mauvais que ça, ce que j'avais écrit ? Et en fait, le lecteur lui avait expliqué qu'il lisait le soir au lit, et que, se trouvant être un roman un peu érotique, il arrêtait sa lecture pour faire l'amour à sa femme chaque soir.

On m'a forcé à l'école à lire des livres que je n'avais pas envie de lire parce que c'était dans le programme. On a essayé de me rentrer à grands coups de manuels scolaires les livres de Rabelais. C'était totalement indigeste. A l'époque, c'était Lagarde et Michard. Et finalement, il y a 7-8 ans, j'ai essayé de nouveau Rabelais et j'ai trouvé cela absolument génial. J'ai commencé à le lire pour le plaisir et non parce que j'y étais obligé. Et, alors qu'avant je le trouvais ennuyeux, j'ai trouvé, imaginez, c'était il y a plusieurs centaines d'années, un passage initulé "les mille et une façons de se torcher le cul avec un oiseau." Pour moi, la littérature a toujours été une source de joie, à condition qu'on s'amuse avec elle. Je trouve qu'actuellement, on prend la littérature beaucoup trop au sérieux. Les littéarteurs, dont je fais partie, généralement ceux qui passent à la télé, sont plutôt âgés. Il y a deux ans, à Saint-Etienne, je rencontrais des lycéens, dans un quartier assez sensible. A 8 heures du matin, 80 adolescents comme vous attendaient, la prof n'étant pas encore arrivée, peut-être prise dans les embouteillages. Je m'avance vers la table. Deux gaillards aussitôt viennent vers moi.
-"Eh m'sieur, qui vous êtes ?
- Je suis Jean-Paul Delfino. Je viens vous rencontrer.
- Non, non, vous êtes pas Delfino.
- Si, je vous assure et je viens vous parler de littérature.
- Ah non, m'sieur, vous êtes pas Delfino."
Je suis marseillais, je commence un peu à m'énerver :"Mais pourquoi dîtes-vous que je ne suis pas Delfino ?"
Alors il me regarde de bas en haut et répond :
"Eh, M'sieur, les écrivains, ils sont tous morts !"
Effectivement, je n'ai pas un look d'écrivain, c'est-à-dire je porte un bandeau dans mes cheveux longs, une boucle d'oreille, des pumas et un jean. Mais j'ai toujours été habillé comme cela, en toutes circonstances. Et je ne vois pas pourquoi je metterai le costume, les lunettes en écaille, et l'écharpe blanche.
La vraie littérature, c'est fait par des hommes et des femmes qui vivent comme vous et moi. Il faut les respecter pour ce qu'ils font mais pas obligatoirement pour ce qu'ils sont."



- Combien ça paye ?

"- Ca paye peu. Un roman en grand format, ça vaut 20 euros et l'auteur touche 2 euros."

- Vous vous faites exploiter alors !

"- C'est pire que cela, oui, car en fait, si il n'y a pas l'auteur, il n'y a pas le livre. Or un auteur prend 10%, le libraire aussi, l'éditeur 25% et le diffuseur le reste, soit 55%. Et le diffuseur, c'est celui en fait qui possède les gros camions pour acheminer les cartons de l'entrepôt, où les livres ont été imprimés, et ce dans toutes les librairies de France. Voilà pourquoi on gagne si peu, mais ça fait quatre ans maintenant que j'ai la chance de vivre de mes droits d'auteurs. Ce qui veut dire que je me lève quand je veux, je n'ai pas de patron, je n'ai pas d'horaire. On doit être 5000 auteurs en France et 80 à pouvoir vivre de ses droits d'auteurs."

- C'est un salaire mensuel?

"Non, en fait on est payé une fois par an, sauf quand on a un livre qui marche énormément. Par exemple, l'un des mes livres, celui sur le kama-sutra, s'est vendu à 75 000 exemplaires en 3 ans. J'ai donc demandé à l'éditeur de me verser 3000 euros par mois pendant 3 ou 4 ans, car s'il me verse tout d'un coup, les impôts vont me prendre le maximum."

- Pour être écrivain, il faut avoir une culture littéraire ou ce n'est pas
 utile ?

"Il faut avoir une culture littéraire, au moins pour ne pas écrire ce que les autres ont déjà écrit. Je n'ai pas de maître en littérature, j'ai des phares et Boris Vian, qui en est un, disait " On écrit pour deux raisons ; la première, c'est parce qu'on a lu des livres qui nous ont tellement chaviré l'âme, fait rêver, partir, qu'on a envie de rendre au lecteur la même dose d'émotion, la même énergie. Et puis, il disait avec malice que la deuxième raison pour laquelle on écrivait, c'est parce que la littérature contemporaine qu'il connaissait était tellement mauvaise qu'il fallait justement essayer de faire autre chose."

-Comment avez vous eu l'idée d'écrire un roman? Pourquoi et comment écrire?

"C'est difficile à dire. Quand, j'ai un projet de livre il y a d'abord toujours une émotion. C'est pour moi, le moteur de chaque chose, qu'elle soit positive ou négative. Je connais toujours le sujet. Pour Corcovado, je voulais écrire un grand chant d"amour à ce pays, qui, pour moi, est un pays absolument extraordinaire.  Si un jour vous avez le chance d'y aller, allez-y. Oubliez cette  propagande selon laquelle, quand on est une femme, on est soit danseuse de samba ou prostituée, et quand on est un homme, on est soit joueur de foot soit prostitué. Allez-y et vous verrez qu'il n'y a pas tant de violence que cela. Je connais les quartiers de Marseille où il y a plus de violence que dans la pire des favelas, le pire bidonville de Rio. Corcovado, je voulais  que ce soit un grand chant d'amour pour ce pays qui m'a tout donné. Mon premier livre, je l'ai écrit à 21 ans, c'était un ouvrage sur la musique brésilienne. A cette occasion, j'ai rencontré toutes les plus grandes stars comme Gilberto Gil, qui est devenu ministre de la culture au Brésil et un grand ami, et puis Chico Buarque...
Et après avoir publié mon premier polar, je me suis dit " il faut que tu rendes un peu du bonheur que le Brésil t'a donné", et donc j'ai trouvé cette histoire autour du Christ avec les bras en croix. Je l'ai écrite et je me suis dit avoir un peu remboursé ma dette d'amour. Puis, en fait je ne la rembourserai jamais car le Brésil m'a fait un cadeau encore plus beau, c'est qu'ils ont jugé le livre suffisamment bon pour le traduire en brésilien. Et maintenant, quand vous arrivez à l'aéroport de Rio, et que vous pouvez voir en librairie votre livre traduit en brésilien, c'est quelque chose de phénoménal.
Ensuite, une fois que j'ai à peu près l'histoire en tête, j'écris les 30 premières pages, parce que je sais comment cela va commencer, je sais comment cela va finir, mais le problème c'est entre la page 30 et la page 480, je n'en sais rien.
Beaucoup de romanciers affirment avoir tout planifié. Moi, non, je ne sais pas travailler comme cela, c'est-à-dire que j'ai créé, que j'ai mis en situation des personnage qui me racontent leur histoire. Parfois, j'ai un peu l'impression d'être un escroc car ce n'est pas moi qui écris, c'est eux. Moi, je suis juste le porte-plume."

- Pourquoi avez-vous décidé de faire tourner l'histoire autour du Christ ? Etes-vous croyant ?

"Je vais vous répondre très sincèrement : je crois. Je ne crois pas en Dieu, Mahomet... car la première cause de guerre dans le monde, après l'enrichissement personnel, c'est le représentation des dieux sur Terre, c'est vouloir expliquer aux autres, que ce n'est pas bon de manger du porc, de jurer le nom de Dieu. Mais, je ne suis pas assez matérialiste et peut-être un peu trop poète, je crois qu'il y a quelque chose, qu'on ne vient pas là uniquement pour souffrir. Je me dis parfois qu'on a plusieurs vies. Je parle dans Corcovado de Candomblé et de Macumba, ce que bien entendu la religion catholique refuse parce que ce sont des sorcelleries, et j'ai vu, dans la procession pour Iemanjà (déesse de la mer, protectrice des pêcheurs), toute une nuit les mères des saints, les pères des saints, en train de lisser une bande de 1 m de large et de 10 m de long de sable blanc et les fillettes, préparées, défilaient sur le sable blanc et n'étaient acceptées que celles qui ne laissaient pas de trace. Pour moi ça, c'est de la lévitation."


Publié dans Amérique latine

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