Carnet de déroute : "Juin 1665, Londres."

Publié le par C.D.I. du lycée Voltaire

Carnet de déroute



Juin 1665, Londres.

Il n’osait penser à celle qui se trouvait au fond de ce couloir noir et vide, où régnait en maître l’humidité qui se voyait à la couleur verdâtre des murs, on pouvait aussi admirer des taches de fuites d’eau. Un léger courant d’air le fit frissonner, ses poils se hérissèrent. On ne voyait que quelques médecins et infirmières qui se mouvaient, ombres glaciales et effrayantes dont on distinguait à peine les contours, pour porter secours à des patients, qui étaient toutefois condamnés. Pourraient-ils au moins atténuer leurs souffrances ?

Il détourna les yeux des chambres entrebâillées qui s’offraient à sa vue : gisant ça et là, des corps inanimés ou sans vie, pâles cadavres, image de souffrance et de peur se dessinant sur les visages. Il ne pouvait par contre, pas échapper aux sons. Ces bruits le révulsaient : hurlements, respiration saccadée, et ces voix faibles qui ne cessait de répéter, avec douleur :

  • S’il vous plait, abrégez mes souffrances. Je veux en finir tout de suite…

Au fur et à mesure qu’il avançait dans ce couloir, il n’osait imaginer ce qui l’attendait à l’arrivée, serait-ce une personne se battant contre la mort, ou une résignée à son sort. Hélas on n’échappe pas à son destin. Aussi tragique soit-il. Ses pas résonnaient dans le sombre couloir. Ils sonnaient comme les aiguilles d’une horloge. Tic tac tic tac. Le temps passe. Plus vite qu’on ne s’y attend, on est au bout de notre route. On a trop couru pour atteindre le bonheur, pour grandir plus vite, pour avoir ce que l’on voulait, au lieu de profiter de chacune de ses secondes comme si elles étaient toutes des moments inoubliables, comme si elles nous étaient comptées, ralentir notre course ne serait-ce que quelques minutes, et savourer de vivre, d’avoir cette chance d’exister, même si ce n’est qu’un instant car un jour on se rend compte qu’il est trop tard, qu’à force de courir on s’est essoufflé, que l’on est arrivé à destination plus tôt qu’on le voulait,  finalement. Que sans avoir su profiter de ces moments qui auraient pu être tous plus extraordinaire que les autres, on s’en va. Ou ça ? Qui sait. Alors profitons déjà dans ce monde qui est le notre, de chaque seconde, de chaque minute, comme s’il s’agissait de la dernière, car, un jour, sans que l’on s’y attende, le destin nous rattrape toujours. Le temps file et nous échappe. Il aurait aimé pouvoir tout recommencer, en mieux. Avoir la chance de déclamer son amour et son bonheur à chaque instant. C’est ainsi qu’il aurait du agir. C’était ainsi. Inutile d’essayer de rattraper et attraper ce temps. Désormais il était trop tard. Bien trop tard.

Il ne pouvait se résoudre à se retourner et entrer dans cette petite pièce sombre, où encadrée de cadavres puants, et de condamnés, il devrait affronter la vue d’Emma, souffrant l’agonie,  affronter son destin. Son destin de voir mourir celle qu’il aimait ? Il ne pouvait l’accepter. La voir se battre contre ce dont elle ne pourrait réchapper, ce dont contre elle ne pourrait pas lutter. Ce qui l’emporterait, non sans souffrance, vers le vide, le noir, la mort. Comment la voir partir ? Dans de si affreuses conditions ?  Elle qu’il chérissait tant, depuis maintenant 2 ans. Sa femme. Son passé, son présent, son avenir. Voila que le destin, le privait de ce dernier mot. Mais avenir signifiait-il quelque chose sans elle ? Non. Comment vivre sans elle ? Sa moitié, la plus belle partie de son âme. Celle qui était, autrefois, la source de son bonheur serait maintenant la plus grande cause de son malheur. Si tragiquement, elle partait, emportée par la peste qui faisait rage en ces durs temps.

Adam trouva la force de se retourner et d’ouvrir cette porte. Petite porte de bois pourris, où l’on entendait les vers grouiller. Il la poussa délicatement. Ô horrible spectacle. Désolation, malheur, tristesse. Seuls ces mots pouvaient appartenir à cet endroit, coulisse de l’enfer, où Satan se délecte de la représentation. Milliers d’inconnus qui se meurent. Préface d’une sombre destinée vers un avenir sombre et détestable.

Lorsqu’elle l’aperçu, son visage, creusé par la fatigue d’une nuit d’insomnies, s’éclaira, retrouva un semblant de sa beauté habituelle. Beauté éternelle qui resterait à jamais gravée dans son esprit. Même ainsi elle restait pour lui la plus belle créature qui ait jamais croisé son regard. Il l’aimait. Plus fort qu’il n’avait jamais aimé. Imaginer sa vie sans elle était inconcevable. Il ne pouvait, il ne voulait l’imaginer. Il se précipita à son chevet. Enfouit sa tête dans son épaule, et ne put retenir ses larmes.

Rassemblant le peu de force qui lui restait, elle prit délicatement sa tête entre ses mains, plongea son regard dans le sien. On aurait cru qu’ils pouvaient communiquer ainsi. Rien que par le regard. Une telle tendresse ressortait de cet échange, par un simple regard on pouvait mesurer l’importance du lien qui les unissait, la grandeur de leur amour. Elle se redressa de quelques centimètres pour pouvoir être plus à l’aise pour parler.

  • Je..

Elle ne put murmurer un mot de plus, avant qu’Adam ne la coupe d’une voix aux accents protecteurs, presque confiants, mais où, si on le connaissait, on pouvait deviner tout le désespoir qu’il gardait en lui, et essayait de lui cacher.

  • Non tais-toi. Garde tes forces. Je t’en prie, tais toi.
  • Non. Je.. je vais mourir.

Dit-elle d’une voix hésitante, mais sans appel.

  • Non ! Ne dis pas ça ! Sil te plait, ne dis pas ça…

Sa voix se brisa, il lui fallu quelques instants pour se ressaisir, et réussir à continuer sa tirade.

- Tu vas t’en sortir, je te le promets, nous demanderons les meilleurs médecins, nous déménagerons de cette ville …

  • Il n’y a plus de « nous », je suis contagieuse, tu le sais, ceci est notre dernière rencontre mon amour. Je ne veux plus te revoir à Londres. Quitte cet endroit maudit. Peut-être en réchapperais-je. Qui sait ? Mais toi, ne prends pas de risques. Je t’en supplie!  Ne fais pas cette folie. Pars pour moi. Ceci est ma dernière volonté. Tu n’as pas le droit de me la refuser. Non tu n’en as pas le droit. Au nom de notre amour, pars.

Elle avait murmuré ces mots avec une telle tendresse que quiconque en aurait été ému. Mais elle était déterminée, elle savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps, elle sentait le froid s’installer en elle et l’emporter peu à peu vers de lointaines contrées, où elle espérait retrouver la sérénité d’un corps en bonne santé, ou du moins un monde dans lequel elle ne souffrirait plus. Elle n’avait pas peur de la mort. Après de si affreuses souffrances, que pourrait-elle craindre de pire ? Elle se laissait partir sans regret, et dans l’espoir de revoir un jour le visage de l’être aimé. Seule chose qui la retenait encore parmi les vivants. Or elle n’avait plus la force de se battre contre ce mal récurrent, contre cette douleur de plus en plus forte. Elle se laissait partir.

Dans un soupir, elle murmura un pâle :

-Je t’aime…

Sa tête s’affaissa et fut recueillie par les bras de son époux en larmes.

-NON ! NON ! NON ! REVIENS ! SIL TE PLAIT ! Emma… Non, Emma… Emma… Je t’aime, ne me laisse pas. Non Emma, ne me laisse pas…

Entre ses appels au secours, ses sanglots, ses « je t’aime » infinis, il ne pouvait prendre du recul et essayait de réaliser ce qui venait de se produire. Il ne pouvait croire que… Qu’elle était… Morte. Un médecin arriva au pas de course, examina le corps froid et inanimé d’Emma, prit une profonde inspiration et déclara l’heure du décès, il sortit un vieux carnet usagé, aux pages jaunis, remplis de centaines de noms d’inconnus, et inscrit les circonstances de la mort. Ce carnet, étalage de morts, résumait toute la misère d’une population. Un cri d’une douleur intense se fit entendre. On n’eut pu imaginer une telle souffrance sans être présent en cet instant.

D’une voix saccadée on l’entendait déclamer :

  • Mariés jusqu’à ce que la mort nous sépare…

Il n’aurait jamais imaginé que cette séparation aurait eut lieu si tôt.

  • Emma et Adam pour la vie, jusqu’au bout… Emma et Adam…

Pris d’un élan fou, dans un accès de désespoir, il prit sa femme dans ses bras et sauta par la fenêtre ouverte.

Après un sinistre bruit, le médecin osa jetai un œil apeuré à l’entrebâillure de la fenêtre, pour y découvrir, allongés 4 étages plus bas, les corps entrelacés sans vie des deux amants. Unis à jamais dans la mort.

Ne serait-ce que deux morts de plus parmi ses 100 000 victimes de la peste ?

Le médecin referma la fenêtre, incertain. Le regard vide, les gestes mal coordonnés, la voix tremblante, il appela :

  • Qu’on vienne retirer ces corps de la chaussée, ils pourraient gêner l’entrée de nouveaux patients…

Perdu lui-même dans ses pensées, personne ne put comprendre ces derniers mots.

Comment amour si pur, si sincère, pouvait-il finir de la sorte ? Voilà ce qui hanterait ses pensées, du moins jusqu’à l’arrivée du prochain malade.

Elève de 2nde 11


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