Carnet de déroute : "La fenêtre claquait vivement (...)"

Publié le par C.D.I. du lycée Voltaire


La fenêtre claquait vivement. Ce temps capricieux n'avait pas fini de pleurer son désespoir. Dans cette ancienne bâtisse où j'avais passé trente années de ma vie, tout était resté intact. Mis à part les escaliers en bois qui vieillissaient, la tapisserie qui se décollait et l'âtre de la cheminée qui noircissait de jour en jour. En effet, ma mère n'avait jamais été soucieuse de ces détails. Aucun homme, sinon moi, n'avait vécu ici pendant toute mon enfance. Mon père, je ne le connaissais pas, je n'avais jamais abordé ce sujet avec ma mère et jamais elle ne m'en avait parlé. Cette mère que je fais passer pour une femme indigne, m'avait quitté trois mois auparavant pour aller rejoindre ses parents dans le caveau familial à deux pas d'ici. Cette maison mourait un peu plus chaque jour. Personne ne s'en souciait. Elle était toute ma vie à présent, mon seul bien encore capable de laisser un souvenir. Au fond du corridor, je voyais encore l'ombre de ma mère. Le craquement des marches chantait une mélodie familière. Les fenêtres laissaient découvrir des nuages menaçants qui parfois dessinaient ma mère. Elle seule veillait sur moi. Depuis sa mort si brutale, je ne m'étais pas remis de ce tragique accident. Son assiette encore sur la table avait pris la poussière. Je me sentais seul, comme disait Lamartine, '' un seul être vous manque et tout est dépeuplé '' . Cette bâtisse était perdue au beau milieu des champs, héritage familial. Cependant, il fallait que je songe à faire le deuil.

Un jour de printemps, je me décidai enfin à ranger toutes mes affaires et à les monter au grenier. Son parfum n'exaltait plus mes narines mais sa pensée était encore là. Je montai au grenier et rangeai tous ses objets. Un mouvement trop brusque et le chevet se renversa, déboîtant sa seule bouche capable de recevoir sa nourriture. Son tiroir à terre, entouré de nombreux papiers. Cela appartenait à ma mère. Je pris tout et, au sol, resta un carnet. Je le saisis et vis qu'il n'était pas tout jeune et avait mal vieilli. Je l'ouvris : des courbes manuscrites envahissaient le papier jauni par le temps. A côté se tenait une grande enveloppe avec sur le dessus une trace rectangulaire. Cette enveloppe avait contenu ce carnet. L'expéditeur y était indiqué : Robert Peltraw. Mais qui était-ce ? En lisant de plus près ce carnet, je découvris que c'était mon père. En l'espace d'un instant, tout s'écroula autour de moi. J'avais la sensation dede lui, pas un seul instant. Je feuilletai ce carnet qui, au moindre geste incontrôlé, tomberait en miettes. Ce carnet avait touché mon père. C'est en sanglots que je le reposai sur le lit. Je ne comprenais plus rien. Cela ressemblait à trente années qui partaient en fumée. Je me ressaisis et repris la lettre ; une adresse était indiquée mais à peine lisible. Elle indiquait une ville anglaise, Canterburry. A ce moment précis, je lus que mon père était anglais. En une fraction de seconde, j'avais un père, en une fraction de seconde, je connaissais mes origines. Ma vie prenait un grand tournant. Je descendis quatre à quatre les escaliers. Les larmes coulaient à flots sur mon visage. Je ne pouvais pas pleurer pour une personne, qui à mes yeux, était un étranger. Je ne pleurais pas ma mère. Je pleurais pour ce mot, si cher à mes yeux, un mot que jamais je n'avais entendu prononcé par ma mère, '' père ''. Je repris ce carnet et lus entièrement les pages. Je découvrais un homme dévoué et éperdument amoureux dede ses ancêtres. Ma mère avait emporté dans sa tombe ce secret. Cet homme était à mes yeux, lâche et insouciant. Cependant, une page manquait, certainement la dernière qu'il ait écrite. Il fallait que je perce ce mystère. ne jamais avoir existé et surtout d'avoir été trahi par ma propre mère. Pourquoi m'avait-elle caché qui était mon père ? Elle ne m'avait jamais parlé ma mère. Néanmoins, je ne comprenais pas la raison pour laquelle il était retourné sur la terre

Deux journées, étaient passées, ce n'était que rancoeur, amertume et mélancolie qui fusionnaient dans mon esprit. Je tenais dans la main droite, deux billets en partance pour l'Angleterre. Je sortis. Ce vent glacial rythmait encore le silence de mort de ces champs désertement-peuplés. J'avais le sentiment que lorsque je reverrais cette maison, tout aurait changé, c'est ça le plus angoissant. Je partais avec l'estomac noué.

Ce fut un voyage qui me parut interminable. Hier encore j'étais avec ma mère, assis au près de la cheminée à lire des contes. Aujourd'hui, je me retrouvais dans une ville inconnue à la recherche d'un inconnu. La pluie se mêlait au vent formant à eux deux un magnifique duo musical. Je devais me rendre à l'adresse. Une maison imposante se tenait devant moi. C'était comme un monstre qui allait m'avaler. Ses fenêtres en guillotine, qui s'apparentaient à des yeux, semblaient exercer sur moi, un maléfice. La peur de l'inconnu m'envahissait peu à peu et mon front ruisselait dede ma venue avec quelques difficultés mais la barrière de la langue empêcha toute compréhension. Je lui dis alors le nom de mon père et ce fut comme une révélation pour elle. Ses yeux s'écarquillèrent d'un trait. Elle me bredouilla une phrase. Quelques instants après, elle revint avec une feuille à demi déchirée. C'était celle qui manquait au carnet. Dessus était recopié un extrait de conte. Je reconnus un des contes dede lui. sueur. Mon coeur palpitait à tout rompre, j'étais figé sur place. Mes membres tremblaient à moitié et ce fut un grondement sinistre au loin qui me réveilla subitement. Trois coups sourds retentirent lorsque je sonnai la cloche. Une étrange silhouette se montra. Elle s'apparentait plutôt à celle d'une femme. En effet, une vieille dame me répondit. Je lui expliquai mes raisons Canterbury que j'avais lu auparavant. Cette feuille sentait le désespoir et la tristesse. C'était comme son dernier souffle. Ses dernières lettres s'apparentaient à l'agonie et d'un trait net, le conte était fini comme un coeur qui ne bat plus. Je retournai la feuille, tout s'expliqua. Mon père, gravement malade, n'avait jamais voulu me connaître pour ne pas souffrir d'une séparation trop brutale. Cet homme est mort avec comme dernière pensée, son fils. Les contes qui avaient bercé mon enfance étaient une partie

Je quittai la ville avec un sentiment de nostalgie mais avec la satisfaction d'avoir été aimé. Je me trouvais dans la rue , le vent violent avait laissé place à une légère brise, c'était mon père.



Léa C., 2nde 11.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article